S'ECOULER - 6
Sixième partie de S'ECOULER.
{ASSISTER A}
Ca y est.
C’est fini. Les gens étaient habillés en noir, adoptaient un visage fermé,
regardaient fixement le sol, sauf quand ils dirigeaient leur regard d’un air
tragique vers le ciel. J’ai peine à comprendre ce qu’ils y cherchaient, même si
moi aussi je me suis surpris à lever la tête vers le bleu insolent de ce
vendredi après-midi. Certains ont pleuré. Des femmes, surtout.
Pendant la
procession, j’ai regardé une jeune femme blonde coiffée d’un grand chapeau
noir. Elle portait une jupe longue et un haut qui moulait sa poitrine. Elle
devait avoir froid car on faisait plus que deviner la pointe de ses seins à
travers son haut à boutons. Pendant que le curé parlait, je regardais les deux
petites collines avec désir, mais je me sentais coupable. En même temps, je me
disais que cela ne se faisait pas, de ne pas mettre de soutien-gorge à un
enterrement. Elle ne m’a pas renvoyé une seule oeillade. Peut-être qu’en
réalité elle m’avait remarqué, et qu’elle refusait mon regard déplacé. Je
n’avais jamais vu cette fille avant. Peut-être était-elle au lycée mais je ne
le crois pas. J’ai une bonne mémoire des visages en général, même si en dix
ans, on change. Je n’en sais rien, car je ne suis pas allé lui parler après la
cérémonie. J’avais trop honte. Je pensais à Julia, même si elle ne m’aurait pas
désapprouvé. Elle disait toujours qu’il fallait profiter de la vie, en toute
occasion. Ce côté jovial me faisait du bien, moi qui voyais la vie en noir à
l’époque. Elle fait partie des gens qui m’ont aidé à m’accepter. Pour cette
raison aussi, j’ai tenu à être à Saint-Malo aujourd’hui.
Au début de la cérémonie, les parents de Julia ont indiqué qu’ils conviaient toute l’assemblée à un apéritif donné en leur demeure. J’ai trouvé étrange l’appellation « apéritif » qui pour moi est porteuse d’une idée de célébration. Je préférais rentrer chez mes parents.