Un article prétentieux à bien des égards
On a tous eu, au moins dans son adolescence, à gérer le concept de "prétention". "Si je fais ceci, ne sera-ce pas trop prétentieux ?"
Au printemps 2006, les oiseaux copulaient, Francis Ford copula, et Nono et Nico pendaient leur crémaillère. Au cours de cette soirée ma foi bien sympathique, je cassai pour la SECONDE fois de ma vie la vitre de mon meuble télé.
A l'instant même (en réalité un peu plus tard), je décidai d'ôter la vitre gauche encore épargnée, pour
1) Eviter de donner raison à ce stupide proverbe qui nous apprend que JAMAIS DEUX SANS TROIS.
2) Laisser libre cours à mon imagination pour en faire "de l'art".
Quelques mois plus tard, par la biais de circonstances aussi extraordinaires que très banales (normales, quoi, si on fait la moyenne), je me retrouvai durant de longues heures devant une photocopieuse. Et j'y photocopiai mes mains, mes doigts, en expérimentant bien des choses bien trop effroyables pour être
dévoilées ici.
Quelques mois plus tard encore, je lancai à Nono mon projet de "faire quelque chose" avec ces photocopies de doigts et cette vitre odieusement transparente.
Le résultat, il est là, sous vos yeux, ou presque (ben oui il ne s'agit que d'une photo !).
Pour décrire une oeuvre, l'abbréviation SMOG est souvent utile. Pourquoi ces lettres ?
S pour SUPPORT : vitre d'un meuble télé de Conforabeurk
M comme MATIERE : papier kraft, anneaux de rideaux, extrait de questionnaire d'un examen quelconque, carte postale, boulon, gouache, papier bulle
O comme OUTIL : pinceau brosse, blanco, colle, ciseaux, gabarit
G comme GESTE : coller, écrire, découper, acoller, superposer, suivre
A la fin du processus, jugeant comme il se doit la chose admirable, je propose à Eléonore de lui donner un titre (à l'oeuvre, pas à Nono). "Prétentieux !" me rétorque-t-elle. Point de départ d'un long débat sur la prétention...
Vouloir exposer une création à soi, c'est prétentieux, vouloir donner un titre à une création, c'est prétentieux, vouloir faire passer un message dans une oeuvre c'est prétentieux, et donc, par effet domino à rebours (ce que j'appellerai l'effet anti-domino), décider de créer c'est prétentieux. Pense Eléonore.
En un mot comme en cent, le fait de prendre son pinceau et sa colle, de barbouiller je ne sais quoi sur une vitre a mis mal à l'aise Nono !
Si je me la jouais emule de Nietzsche à la noix, je dirai que l'on reconnait bien là la notion de "ressentiment" qui est ce que le philosophe allemand considère comme le sentiment de rancune et d'amertume, qui naît chez les faibles, devant les "maîtres", qui sont eux des "créateurs". Les chrétiens représentent pour Nietzsche le stéréotype de ce "faible". Ce "ressentiment" s'oppose à ce que Nietzsche appelle "la volonté de puissance", c'est à dire l'énergie vitale qui transcende l'homme et qui l'amène à créer, et donc à agir sur son monde, plus tôt qu'à ré-agir à ce monde en vivant dans le ressentiment passif. A noter que l'on a tous forcément éprouvé un jour (et même deux ou trois) ce que Nietzsche nomme le "ressentiment".
Ce raccourci de la pensée de Nietzsche est selon moi tout indiqué pour décrire la situation de Nono et Nico faisant mumuse avec des anneaux de tringle à rideau. Il n'y a pas à voir honte. Il n'y a pas à se dire que c'est prétentieux. Car il n'y a pas à dire non plus que c'est génial. Ca ne l'est pas, assurément. Seulement, il faut être fier d'avoir pu "créer", d'avoir pu "modeler notre monde", finalement d'avoir été actif, par opposition à passif. Depuis que j'ai lu des choses sur Nietzsche, entre autres, j'ai réglé ce problème que j'ai pu avoir, par exemple pendant l'adolescence. Cette peur de faire prétentieux, de créer, parce que cela nous fait sentir que l'on est vivant. Il n'y a pas honte à vouloir affirmer que l'on vit.
Je vis, je colle des boulons sur une vitre, et je vous emmerde. C'est ça qui me plaît.
Au fait, j'ai donné un titre à notre création. Titre que ne validera peut-être pas Eléonore.
Ce titre est : ICI (la prétention)